Tome 1 : Les Chroniques d'Ester
Je vous livre en exclusivité le préambule d’Ester, mon prochain roman et le premier d’une longue serie que j’ai intitulé Les Chroniques d’Ester.
La révérende Edward, une grosse femme au visage rubicond et aux doigts boursouflés d’être mordus par de trop nombreuses bagues en or, se préparait à rendre les derniers sacrements à cinq pauvres bougres sous les yeux d’une assemblée de croyants acquise à sa cause. Elle se racla la gorge pour attirer l’attention et solennellement prit la parole.
– Remercions le Seigneur, mes sœurs et mes frères !
La foule, exubérante, dansait, chantait et louait Dieu en se jouissant dessus religieusement tandis qu’aux portes de l’église quelques retardataires jouaient des coudes pour se frayer un chemin à l’appel du glas qui annonçait au village qu’un spectacle malsain surviendrait dans l’heure. Sous son col blanc et dans sa robe noire trop large qu’elle portait surtout pour cacher des bourrelets disgracieux, la prêtresse exhortait les dévots à louer les bienfaits du Seigneur des mouches qui leur accordait chaque jour leur pain quotidien.
– Remercions le Seigneur !
La foule, surexcitée, répondait par des Alleluia et des Amens à chaque phrase qui sortait de sa bouche.
Devant l’autel, le destin des prisonniers était déjà scellé, faute au fruit d’un hasard mauvais : être là au pire des endroits au plus malheureux moment.
– Buvez et mangez ! A dit le Seigneur !
Elle pointa son index sur eux. D’aucuns, pas même la religieuse engoncée dans sa superbe n’avaient accordé aux prisonniers une voix au dernier chapitre de leur vie. Les poignets ficelés dans le dos, agenouillés sur le sol, il ne restait à ceux-ci que la prière pour espérer échapper aux crocs des paroissiens affamés.
La voix de la révérende résonnait dans toute la salle au-dessus des cris d’adoration.
La ville de Backefilde était comme une toile d’araignée placée juste au bon endroit. À l’entrée du désert elle attirait inexorablement tous les exilés de la grande ville. Cette famille en avait fait les frais comme bien d’autres avant elle et comme bien d’autres avant elle, elle allait servir de festin pour tous ces affamés.
– Silence !!!
L’assemblée se tut instantanément. Les yeux de la grosse femme brillaient d’une envie contre nature.
– Laissez-moi le garçon.
Un filet de bave coulait contre son menton tandis qu’elle retroussait ses babines en exhibant une mâchoire déformée. Le père de famille fit une dernière prière et supplia sa compagne du regard pour qu’elle le pardonne de les avoir menés tout droit dans cet enfer.
Tous les visages de l’assistance se déformèrent à leur tour. C’était l’heure de la communion.
Soudain, le velux juste au-dessus de l’estrade sur laquelle la grosse femme faisait son show depuis bientôt une heure vola en éclats.
Une ombre tomba du plafond au milieu des morceaux de verre. Un hurlement fit se figer toute l’assistance tandis que la révérende s’écroulait en deux morceaux sur le parquet. Les autres n’eurent pas non plus le temps de comprendre ce qui se passait. L’ombre traversa l’édifice en bois et se faisant les corps tombèrent les uns après les autres sans qu’aucun n’en réchappe.
À la place de la révérende, une jeune femme regardait le spectacle sans aucune expression sur son visage. Seul son regard noirs trahissaient sa détermination. D’un geste, elle rappela l’ombre qui vint reprendre sa place sur le sol à l’opposé des lustres qui scintillaient sous le plafond lambrissé.
Il y eut un silence.
– Vous n’avez plus rien à craindre !
Sa voix était nonchalante.
Le père de famille la regardait suppliant.
– Vous … vous êtes l’Ombre ?
La jeune fille se redressa avec panache. L’homme, toujours sous l’émotion, était tout à la fois admiratif et reconnaissant. Tout en repoussant sur ses épaules la capuche qui lui cachait le visage, elle lui jeta un nouveau regard noir qu’un léger sourire au coin des lèvres vint adoucir.
– Appelez-moi Ester !