Le bois de mennevret

Cela fait quelques jours que je me promène dans le bois de Mennevret à quelques kilomètres de la grande ville.

Je vis dans le nord de l’Aisne, pas bien loin de la Belgique. J’ai laissé derrière moi Bohain en Vermandois et son Hôtel de Ville dont le beffroi flamand n’existe plus depuis la Première Guerre

J’ai découvert ce bois par hasard et je m’y suis enfoncé à l’occasion de la balade quotidienne de mon brave petit chien.

C’est un joli domaine forestier situé à l’entrée du village qui porte le même nom. L’hiver, il ne s’y passe pas grand-chose, mais quand viennent les beaux jours, le parcourt sportif reprend vie ainsi que les longs chemins qui le traverses de part en part. Avec le printemps, les sentiers se remplissent de badauds venus cueillir les narcisses jaunes et les jacinthes qui ont fait la réputation de ce massif forestier.

Quand je me promène quelque part, j’aime bien laisser aller mon imagination et inventer des histoires. Assis à la terrasse d’un café, je regarde passer les gens et j’invente leurs vies. Il y a un endroit propice à cela, je trouve, ce sont les gares. Quand j’en ai l’occasion, je rentre dans celle de Saint-Quentin, je commande un café et une viennoiserie et je vais m’installer à une table vide à l’heure des départs ou des arrivées. À cet endroit, les destins s’entremêlent et ici, il est d’autant plus légitime de se questionner. D’où viennent toutes ces personnes ? Où vont-elles ? Pourquoi celui-ci semble porter toute sa vie dans ses deux valises et dans son sac à dos trop lourd ? Qui est ce vieux monsieur tout endimanché qu’une jeune fille est venue attendre. Elle lui prend son unique bagage et ils repartent par les grandes portes vitrées. C’est la même chose quelque soit l’endroit ou je m’arrête et quelques soient les personnes que je croise. Je bouche les trous creusés par les questions que me laissent tous ces lieux et toutes ses vies. Quand c’est nécessaire, je me documente. Qu’est-ce que le Buffet de la gare ? Pourquoi a-t-il été inauguré en grande pompe il n’y a pas si longtemps par Madame le Maire ? Quand a été construite la gare et dans le but de rejoindre quelle ville ? Certainement Paris.

Pour en revenir à ma balade avec Cookie, je suis donc entrée dans ce bois et nous y sommes restés une bonne heure. Comme je l’ai dit, c’est un bel endroit, assez sauvage, mais bien aménagé. Nous y sommes retournées presque tous les jours de la semaine et j’ai même réussit à me perdre en sortant des chemins tracés depuis… depuis quand, d’ailleurs, et par qui ? Une question en amenant une autre, je n’ai pas pu m’empêcher de googliser et de wikipediaiser pour en savoir plus. J’ai trouvé le bois de Mennevret puis je suis tombé sur la forêt d’Arrouaise qui s’étendait des Ardennes jusqu’à la Somme ainsi que sur la fameuse bande de brigands qui sévissaient à cet endroit même au moyen-âge. Il était question aussi de druide, de magie et de potions magiques. Il n’en a pas fallu plus pour attiser mon imagination et je me suis même dit que cela fera un beau commentaire pour Instagram.

Pour finir, j’y suis retourné assez régulièrement jusqu’à l’automne et même quelques fois en hiver. J’ai appris à connaître cette grande dame qui change à chaque saison. Les feuilles jaunissent et finissent par tomber sur le sol. Les insectes, les animaux, les bruits et les odeurs, tout change ! La lumière aussi n’est pas la même tout au long de l’année.

Tout a réellement commencé à la sortie du mois de novembre par un article posté dans le Courrier Picard qui attira mon attention. J’étais revenu me promener dans le bois et je cherchais une belle photo à faire. L’article expliquait comment une jeune femme qui portait son premier enfant avait été retrouvée morte par son conjoint alors qu’elle promenait son chien dans la forêt près de chez elle. L’enquête était en cours et l’on allait faire des analyses pour essayer de comprendre comment et par qui elle avait été attaquée. Elle portait de nombreuses morsures sur tout le corps. Cette malheureuse histoire fut le prétexte pour que mon imagination se disperse dans toutes les directions et pour que soudain l’endroit ne soit plus aussi sûr. Qui sait ce qui avait bien pu se passer dans cette forêt ? Et qu’en était-il à l’époque où il n’y avait pas de routes goudronnées, pas de voitures et pas de lumières dans les villes et les villages à l’entour ? Comment faisait-on pour aller à la grande ville à l’époque où cette bande de brigands semait la terreur ?

Plein de questions, plein d’images commençaient à se bousculer dans ma tête tandis que je slalomais entre les feuillus pour rejoindre le sentier principal. Cookie, au ras du sol allait dans tous les sens devant moi. La voiture était en vue et puis il y eut un bruit au loin. Je levais les yeux et il m’est apparu. J’ai d’abord vu se dessiner les contours du cavalier solitaire à l’endroit où les arbres se courbent autour d’un point lumineux qui marque la sortie du bois. Sur le sentier, il s’avançait à pas d’homme dans ma direction. Il était emmitouflé dans un grand manteau noir et semblait avoir froid. Le cheval aussi souffrait. De la vapeur sortait de ses narines en même temps qu’un râle sourd. Le cavalier tenait les brides de sa monture dans ses manches. Il passa à côté de moi sans me remarquer. Je ne sais pas exactement dans quelle époque il était, mais je n’étais certainement pas dans son ici et maintenant. Je l’ai regardé s’éloigner et disparaître de la même façon qu’il était arrivé. C’est ainsi que le commentaire Instagram est devenu une page, puis deux pour finir en chapitre. Mais d’où vient donc ce cavalier solitaire et pourquoi s’est-il perdu ici ? Et où va-t-il ? Pour traverser une forêt comme celle-ci il faut forcément avoir un but, répondre à l’appel d’un besoin impérieux. C’est autant de questions auxquelles j’ai finalement trouvé des réponses en me rendant régulièrement dans ce bois et pendant six mois d’écritures intenses qui m’ont permis de trouver la fin de cette drôle d’histoire que je vais bientôt pouvoir partager avec vous.

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